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Accusé de viol, Lomepal fait l’objet d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris, selon les informations de l’AFP. (ce jeudi 3 août 2023). Il a répondu dans la foulée via ses stories Instagram.
Après que Jenna Boulmedais ait exprimé ses préoccupations concernant le comportement du rappeur et chanteur Lomepal, une section du public du rap français a déchaîné une vague de haine inqualifiable contre la journaliste. Insultes, menaces et propos condamnables : la journaliste a subi une tempête de violence de la part d’un public prêt à tout pour réduire au silence les rares voix qui osent courageusement s’exprimer. Cependant, le cas de Lomepal n’est pas un cas isolé : dans le rap français, de nombreuses dénonciations ont été accueillies par des réactions inappropriées voire violentes, comme cela a été le cas suite aux accusations portées contre Naps, Roméo Elvis et Ninho. Nous nous penchons ici sur les réactions impulsives du public du rap francophone face à ces accusations et sur la manière dont ces comportements sont nuisibles à la création d’un espace artistique plus sain et inclusif.
Qui prend leur défense ?
Revenons à septembre 2020. Propulsé sur le devant de la scène avec son album « Morale », le Bruxellois Roméo Elvis est l’un des artistes les plus en vue du rap francophone au début de cette nouvelle décennie. Cependant, le rappeur, qui avait déjà fait les gros titres pour un freestyle aux paroles homophobes prononcées sur les ondes de Skyrock trois ans plus tôt, se retrouve au centre d’une nouvelle tempête, cette fois plus grave. Il est accusé par une jeune femme d’être entré dans sa cabine d’essayage et d’avoir commis des attouchements sur elle, le tout sans aucun consentement ou approbation de la part de la victime. Ces actes sont bien sûr condamnables : en Belgique, l’atteinte à l’intégrité sexuelle est punie de 10 à 15 ans de réclusion, tandis qu’en France, une agression sexuelle est passible d’une peine allant jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende.
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Par conséquent, suite aux graves accusations de séquestration, d’agressions sexuelles et de violences portées contre le rappeur Moha la Squale quelques jours plus tôt, le hashtag #balancetonrappeur est créé sur les réseaux sociaux, portant courageusement les témoignages de femmes déclarant avoir subi des violences sexistes et sexuelles de la part d’artistes du milieu du rap francophone. Grâce à cette vague de dénonciations, le rap français et son public découvrent alors les nombreux scandales que traînent ses étoiles montantes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les réactions du public sont aberrantes : dans le cas de Roméo Elvis, la victime a été sommée par de nombreux internautes de fournir des preuves, et une fois les captures d’écran révélant les aveux de l’artiste divulguées, leur authenticité a été immédiatement remise en question. Ce n’est pas tout : la chanteuse à succès et sœur du rappeur, Angèle, a subi une très large vague de cyber-harcèlement, sommée de fournir des explications à ce sujet, tout comme l’a été la mannequin et compagne du rappeur, Lena Simonne. À ce sujet, la victime déclarait dans les colonnes de Street Press ce même mois : « Ce n’est pas juste. Surtout pour sa petite amie et Angèle. Je voulais juste encourager d’autres femmes à parler ».
Si le Belge s’est publiquement excusé sur les réseaux sociaux et a reconnu ses actes, de nombreux autres rappeurs ont choisi d’autres voies : parfois, c’est celle du silence, parfois celle de la négation. C’était notamment le cas en 2021, lorsqu’une plainte pour viol avait été déposée contre le Marseillais Naps : après la diffusion massive de cette accusation sur de nombreux médias nationaux, le rappeur avait balayé cette accusation d’un simple revers de la main, déclarant sur ses réseaux : « Je vois dans la presse les rumeurs qui circulent et recirculent… ça salit mon nom alors que je n’ai rien fait. Ça cherche à me nuire avant la sortie de Best Life ». Encore une fois, les réactions des fans sont unanimes : sous le tweet, de nombreux internautes encouragent le rappeur, lui « donnent de la force » et dénoncent les « mensonges » de la jeune femme à l’origine de la plainte.
Plus récemment, en 2022, c’est le compte Twitter @Histoiresderap qui a relayé les témoignages de deux femmes accusant Ninho et son équipe de « viol en réunion ». Si le rappeur n’a pas communiqué à ce sujet, de nombreux internautes ont immédiatement réfuté ces accusations. Un comportement que l’on retrouve également chez les fans de Lomepal, après que la journaliste Jenna Boulmedais ait déclaré dans un post Instagram :
« Cela fait maintenant deux ans que j’entends, dans le milieu de la musique, des témoignages de femmes ayant subi des gestes déplacés et non désirés d’Antoine Lomepal. Je le répète : TOUTE L’INDUSTRIE MUSICALE EST AU COURANT. Ce silence n’est plus possible. Voir son nom en tête d’affiche pour de nombreux festivals également ».
Si les réactions de l’artiste concerné ont été jusqu’à présent inexistantes, celles des fans ont été extrêmement violentes : la journaliste déclare avoir subi une vague de messages injurieux, diffamatoires et menaçants. Bon nombre d’entre eux sont d’ailleurs visibles en commentaire de sa publication, ou sur Twitter.
Quoi qu’il en soit, le constat est clair : que ces accusations soient traduites en justice ou non, que les preuves soient absentes ou fournies et que les rappeurs accusés aient réagi ou non, il suffit d’une prise de parole concernant les potentiels agissements d’un artiste pour que les témoignages et accusations soient au mieux remises en question par le public et les fans, au pire réfutées et accompagnées d’un flot d’insultes et de menaces. Et cela, c’est évidemment un problème majeur.
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Les réactions font scandale
Soyons clairs sur une chose : si le rap français, son industrie et son public tendent à former une scène musicale plus respectueuse, plus inclusive et plus saine, les réactions impulsives du public face à ces accusations semblent parfaitement contraires à cet objectif. Et cela, pour plusieurs raisons.
La première, c’est que ce réflexe de remise en cause quasi-immédiate des prises de parole, ces messages injurieux et cette pression exercée par le public responsabilisent celles qui osent courageusement dénoncer des agissements potentiellement graves et répréhensibles. Dans le cas de Lomepal, ce n’est pas à la journaliste de répondre à ces demandes de preuves et à toutes ces pressions exercées, mais c’est au rappeur visé de prendre ses responsabilités et de clarifier la situation : il bénéficie encore de la présomption d’innocence. Mais rendre responsables les lanceuses d’alerte qui osent briser un silence est évidemment un acte grave : cela décourage, culpabilise et ferme aussi la porte à d’autres potentielles prises de parole qui, comme dans l’affaire Moha la Squale, pourraient porter des témoignages, dévoiler au grand public d’autres versions que celles tenues par l’accusé, et par la suite, se constituer partie civile dans une potentielle saisie de la justice. Exercer une quelconque pression sur celles qui osent prendre la parole, c’est alimenter la culture du viol : un concept sociologique qui qualifie l’ensemble des comportements qui minimisent, normalisent voire encouragent le viol, et plus largement les violences sexistes et sexuelles. En d’autres termes, harceler et intimider celles qui dénoncent les comportements dangereux, c’est protéger de potentiels agresseurs et discréditer la parole de potentielles victimes. D’ailleurs, ce n’est pas au public de juger un artiste accusé d’actes aussi graves et de dire s’il est coupable ou non, c’est à la justice de faire son travail.
Parce que si la présomption d’innocence s’applique à tout mis en cause jusqu’à ce que la justice rende son verdict, le public peut évidemment exiger son respect, comme l’indique la loi. Cependant, le public ne peut pas, sous couvert de cette présomption d’innocence, entraver les prises de parole de ces potentielles victimes. La seconde raison, c’est que les fans qui tiennent ce genre de propos ont un objectif bien précis : celui de protéger ses idoles contre de supposées fausses accusations. Pourtant, les rappeurs francophones ne semblent pas avoir besoin de protection quelconque : à en juger les carrières des rappeurs visés par des accusations et précédemment cités, aucune ne semble avoir été impactée par ces prises de paroles. Dans le cas de Roméo Elvis, le Belge compte toujours plus d’un million et demi d’écoutes mensuelles sur Spotify, sort encore régulièrement des projets et reste même programmé dans de nombreux festivals et émissions francophones. Chez Naps, c’est à peu près le même constat : le Marseillais cumule près de 6 millions d’auditeurs par mois sur la même plateforme, enchaîne les collaborations avec de nombreux autres rappeurs français et décroche chaque année de nombreux singles d’or, de platine et de diamant. En d’autres termes : il est au sommet de sa carrière. Un parcours qui fait écho à celui du footballeur Benjamin Mendy, récemment jugé non coupable des dix plaintes de tentative de viol et d’agression sexuelles déposées à son encontre par sept femmes différentes, et qui a été recruté, une semaine seulement après le verdict, pour deux saisons au FC Lorient. Alors face aux accusations portées à leur encontre, il est difficile de croire que Ninho et Lomepal verront leur carrière dégringoler tant les rappeurs français semblent déjà solidement installés dans l’industrie musicale francophone. Rappelons au passage qu’en France, selon l’association Nous Toutes, les fausses accusations de viol ne représentent qu’entre 2 et 5%, et que seul 0,6% des viols sont condamnés par la justice.
Au vu du comportement du public aussi défensif qu’agressif à l’encontre des rares personnes qui osent prendre la parole sur le sujet, son rôle et son implication sont non-négligeables dans la protection de potentiels criminels. Il est donc aussi urgent que nécessaire que le public et les auditeurs cessent de prendre à parti, par des méthodes d’harcèlement, d’intimidation et de menaces, les voix courageuses qui osent s’élever contre ces potentiels prédateurs et le silence qui les protège. Pour le bien de la scène rap francophone, certes, mais aussi pour la construction d’un espace musical qui dénonce ses potentiels agresseurs, pour un environnement plus inclusif, plus respectueux, plus sain.
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